Michio Kushi (1926-2014) est un penseur japonais, fondateur du mouvement macrobiotique moderne. Au-delà de la simple alimentation, ses enseignements explorent les profondeurs de la conscience humaine et notre relation à l’univers.
Parmi ses contributions les plus profondes figure sa théorie des sept couches de conscience, un modèle qui élève notre compréhension de ce que signifie être vraiment vivant.
Cette architecture de la conscience, qui s’inscrit dans la tradition taôiste et la philosophie du yin et du yang, offre une voie progressive vers une harmonie totale entre le corps, l’esprit et l’âme.
Une plongée dans l’Abysse : la conscience humaine, disait Michio Kushi, est semblable à un océan sans fin. Imaginez l’univers comme un océan infini de conscience. À la surface, les vagues s’agitent, tumultueuses et chaotiques. Mais à mesure que vous descendez, l’eau devient progressivement plus calme, plus sereine, jusqu’aux abysses où règne un silence absolu et une clarté totale.
Les sept couches de l’océan de conscience constituent précisément cette cartographie initiatique. Ce n’est pas une échelle à gravir, mais une profondeur à explorer. Chaque niveau nous rapproche de la vérité fondamentale : tout est conscience.
Les 7 Couches de l’Océan de Conscience
1. La Conscience Quotidienne, Normale
C’est la surface de l’océan, secoué par les vagues. À cette surface, nous sommes totalement identifiés à nos pensées du moment, à des sentiments passagers. En action et en réaction.
Nous vivons habituellement à ce niveau : la conscience ordinaire du quotidien, celle qui nous permet de nous lever, de travailler, de naviguer dans le monde pratique. C’est la conscience fragmentée en mille pensées, en préoccupations immédiates, en désirs et en peurs banales, en occupation sans fin.
C’est le niveau de la vie automatique, où nous fonctionnons sans vraiment être présents. Les vagues nous agitent dans tous les sens, et nous croyons que c’est la totalité de la réalité. Ici, nous vivons dans la dualité : moi et l’autre, plaisir et peine, réussite et échec. Cette couche agitée, changeante, est souvent dominée par les conditionnements, les automatismes et les émotions.
Néanmoins, elle reste nécessaire, en tant que point de départ de toute recherche et évolution. Reconnaître cette première couche est déjà faire un pas vers la conscience elle-même.
2. La Conscience de l’Existence, de l’Être Humain
En descendant, les vagues se calment progressivement. En s’apaisant un peu, l’esprit perçoit une dimension plus stable : la simple conscience d’exister.
À ce niveau émerge une question révolutionnaire : Qui suis-je vraiment ? Ce n’est plus seulement : « Je pense, je fais, j’agis. » C’est : « J’existe. » Une conscience de soi plus profonde apparaît, au-delà des rôles et des fonctions. Sans se définir, sans se comparer, juste reconnaître la présence.
Ici, on commence à prendre du recul sur la première couche. On observe que nous ne sommes pas simplement nos pensées qui passent. Il y a quelque chose qui observe ces pensées. Une présence témoignant. C’est le début de la conscience de soi véritable, au-delà de l’ego fragmenté.
C’est une prise de conscience existentielle : je suis, ici, maintenant. Cette reconnaissance, simple mais profonde, marque l’entrée dans une conscience plus vaste. On commence à se sentir être, plutôt que “penser être”.
3. La Conscience de la Continuité de l’Existence
Les eaux se stabilisent davantage. Une transparence commence à apparaître.
À ce niveau, on réalise que notre existence n’est pas isolée à un instant présent unique. Il y a une continuité : hier, aujourd’hui, demain. Non pas une continuité de l’ego personnel (qui est illusoire), mais une continuité de la conscience elle-même qui traverse le temps.
Au-delà du temps et de l’espace, la vie circule, se prolonge, se transforme. Il y a une mémoire silencieuse de l’univers qui coule en nous — comme un courant invisible reliant passé, présent et futur. Certains ont ainsi pu évoquer des notions comme les vies antérieures, ou la réincarnation.
On comprend que nous sommes portés par quelque chose de vaste qui perdure. Notre vie particulière est un instant dans un flot éternel. Cette prise de conscience nous libère de la panique existentielle : nous ne disparaîtrons pas complètement, car nous participons à quelque chose de continu.
C’est aussi la conscience de la cause et de l’effet, du karma : nos actions d’hier façonnent notre présent, et notre présent crée notre avenir. Tout est relié dans une continuité. Kushi décrivait ce niveau comme une prise de conscience de la permanence dans le changement, un sentiment de lien avec le grand cycle de la nature.
4. La Conscience du Cycle Universel
Nous descendons plus profond. Le silence commence à dominer.
À cette profondeur, on appréhende le grand rythme de l’univers, où tout est rythme : l’oscillation éternelle entre le physique et le spirituel, le matériel et l’immatériel, entre la manifestation et la non-manifestation, l’inspiration, et l’expiration.
L’univers respire. Tout ce qui est matériel viendra un jour se spiritualiser, et tout ce qui est spirituel cherche à se physicaliser. C’est le cycle du yin et du yang cosmique. La matière n’est pas opposée à l’esprit : elle est de l’esprit densifié. Et l’esprit n’est que la matière sublimée.
À ce niveau, on réalise que la vie elle-même est ce processus cyclique. Nous sommes né du spirituel (l’amour de nos parents « épris » l’un de l’autre), nous habitons le matériel physique (ce corps, la terre), et nous retournerons au spirituel (le « ciel »). Mort et naissance ne sont que des phases d’un même cycle infini.
C’est la conscience de l’harmonie universelle, du principe du yin et du yang régissant toute existence. L’être humain cesse de lutter contre le flux — il s’accorde à cette danse rythmique cosmique.

5. La Conscience de l’Unicité Universelle
Les abysses s’ouvrent. Les frontières disparaissent. Chaque forme, chaque être, chaque instant est relié à tous les autres par une même essence.
Nous réalisons au plus profond de nous-même que tout est Un. Il n’y a pas de réelle séparation entre vous et moi, entre la pierre et l’arbre, entre le dedans et le dehors. Dans les profondeurs les plus calmes, on découvre que cette séparation est une illusion.
Ce que nous avions perçu intellectuellement devient une expérience directe. Les atomes qui constituent votre corps sont les mêmes qui composent les étoiles. L’énergie qui pense en vous est la même qui fait battre le cœur de l’univers.
À ce niveau, l’amour cesse d’être une émotion pour devenir la reconnaissance fondamentale de la source d’Unité. Vous aimez l’autre parce qu’il n’est pas réellement autre. C’est l’expérience du non-dualisme, où la conscience de soi se confond avec la conscience du tout.
6. La Conscience de l’Infini
Nous touchons presque l’abysse. L’obscurité devient lumière.
À ce stade, la conscience se dilate au-delà de toute limite. Il n’y a plus de temps, plus d’espace, plus de dimension. Seulement l’infini, dans toutes les directions, à tous les niveaux. C’est l’expérience de l’infini silencieux, que les mystiques de toutes les traditions ont pressenti. On ne cherche plus à comprendre, à nommer, à saisir : on est cela.
On réalise que ce qu’on appelle l’infini n’est pas quelque chose d’inaccessible, mais notre condition naturelle. Nous avons toujours été infinis, mais nous l’avions oublié derrière le voile de la finitude.
À ce niveau, la conscience devient complètement libre de toute limitation. Les concepts mêmes de moi et non-moi, d’existence et de non-existence, deviennent dénués de sens. C’est le silence avant même la parole, la noirceur avant la lumière, le vide plein.
7. La Conscience de la Vérité
Au plus profond de l’abysse : la révélation finale. Tout ce que nous avons traversé converge vers cette ultime réalisation : Il n’y a que la Conscience. Absolue. Éternelle. Infinie.
« Tout est Conscience », Tout n’était que Conscience, et Tout sera question de Conscience.
La matière n’est que conscience condensée. Le temps n’est que conscience observant le changement. L’espace n’est que conscience se dilatant. Nous, vous, moi, tout ce qui existe, n’est que la Conscience se connaissant elle-même à travers des formes infinies.
À ce niveau, il n’y a plus de chercheur ou de recherche. Il n’y a plus de voyageur, ni de voyage. L’observateur et l’observé disparaissent. Il n’y a que la Conscience, complètement consciente d’elle-même.
C’est le calme le plus profond, la paix, la sérénité. Le silence complet du vide et de la plénitude absolue. C’est la rencontre et l’acceptation de cet ultime paradoxe. Dans ce silence, il y a la réponse à toutes les questions, car il n’y a plus vraiment de question à poser. Rien à chercher, car « rien » est trouvé.
La Vérité Ultime se révèle comme « ce qui Est », sans début ni fin. Tout est là, réuni. Tout est Un, Tout est vie.

La Progression : Du Tumulte au Silence, De l’Illusion à la Vérité
Ce qui est essentiel à comprendre, c’est qu’il ne s’agit pas d’étapes qu’on atteint et qu’on franchit définitivement. C’est plutôt une exploration, une plongée.
Vous pouvez être à la surface un moment, puis descendre à la troisième couche, puis remonter momentanément à la deuxième. Le chemin n’est pas linéaire. C’est un océan qu’on apprend à naviguer.
Mais à mesure que la conscience grandit, la profondeur devient notre demeure naturelle. Les vagues de surface nous agitent de moins en moins. Les tempêtes émotionnelles et mentales sont toujours présentes, mais nous n’y sommes plus entièrement identifiés.
Finalement, on réalise que l’ultime couche est celle qui contient toutes les autres. La première couche (la conscience ordinaire) est une partie de la septième (la Conscience Absolue). Et nous voyageons de l’une à l’autre, explorant les profondeurs de notre être, apprenant progressivement la nature véritable de ce que nous sommes.
Conclusion : L’Invitation de l’Abysse
Les sept couches de l’océan de conscience constituent l’une des plus belles cartographies du chemin intérieur. Elles ne promettent pas le succès, la richesse ou le bonheur au sens ordinaire. Elles nous promettent quelque chose de bien plus profond : la Vérité.
Sept couches de profondeur que l’on peut explorer au fil d’un travail intérieur, d’une observation de soi, d’une vie vécue en accord avec la nature et l’ordre de l’univers.
Cette plongée n’est pas une fuite du monde, mais un retour au centre — une reconnexion à l’essence même de la vie.
Pour Michio Kushi, la macrobiotique était plus qu’un mode d’alimentation. C’était un chemin pratique pour calmer les vagues en surface, pour purifier le canal, pour permettre à la conscience de descendre naturellement vers ses profondeurs.
C’est pourquoi il parlait de la nourriture comme d’une méditation, chaque nourriture ou boisson étant une opportunité de reconnaitre, et de s’abandonner à quelque chose de plus grand.
Un corps équilibré, un esprit apaisé, une énergie harmonisée : voilà les conditions qui permettent à la conscience de plonger de plus en plus profondément en elle-même.
À la surface, nous vivons des illusions rassurantes, plus ou moins confortables et équilibrées. Mais à mesure que nous descendons, ces illusions se dissolvent, et nous découvrons que nous avons toujours su quelque chose de fondamental : nous sommes Conscience elle-même, explorant son propre infini. La question n’est pas de savoir si vous pouvez atteindre l’abysse, car nous possédons tous ce potentiel. La question est : « allez-vous cesser de vous battre contre les vagues pour simplement… laisser couler ? »
“Tout est changement, et tout est Un.
Tout est conscience, et tout est gratitude.” — Michio Kushi

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